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« Le Conseil constitutionnel n’a jamais consacré explicitement et directement un droit ou une liberté d’avorter »

Voté par l’Assemblée nationale, le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse [IVG] vient d’atterrir sur le bureau du Sénat, qui en débattra d’ici à quelques jours. Si la commission des lois de la seconde Chambre, très sceptique, s’est bornée à « prendre acte » du texte, le président, Gérard Larcher (Les Républicains, LR), a déclaré d’emblée qu’il était opposé à la réforme, rejoignant ainsi le chef du groupe de son parti au Sénat, Bruno Retailleau (Maine-et-Loire).
Cette déclaration étonne, car le texte du gouvernement, qui arrive en discussion, est très proche de l’amendement présenté en février 2023 par le sénateur (LR) Philippe Bas (Manche). Au lieu d’une consécration directe d’un droit à avorter, l’amendement Bas faisait appel au législateur pour « déterminer les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Pourquoi rejeter une solution qui, à quelques mots près, semblait convenir à tous, à propos d’un droit que personne ou presque ne se risque à contester ouvertement ? La discussion juridique sur l’opportunité de la réforme coexiste ici avec un autre déterminant, politique celui-là : l’extrême difficulté que rencontrent Les Républicains à renoncer, sur les questions de société, à des positions idéologiques qui ne paraissent pas à même de permettre une reconquête de leur électorat.
Commençons par le droit. Les arguments juridiques mobilisés par les adversaires de la constitutionnalisation n’emportent pas l’adhésion. Selon eux, le droit à l’avortement ne court pas de risque dans notre pays, car il est garanti par la loi et reconnu par nos juges. Rien de tout cela ne convainc. La loi Veil de 1975 peut à bon droit être considérée comme une grande loi. Mais même les grandes lois ne sont pas à l’abri d’une remise en question.
De son côté, le Conseil constitutionnel n’a jamais consacré explicitement et directement un droit ou une liberté d’avorter, ce qu’il aurait très bien pu faire. Au lieu de cela, il s’est contenté de juger que les lois relatives à la liberté d’avorter étaient simplement conformes à la Constitution, ce qui n’est tout de même pas la même chose.
En outre, il l’a fait en considérant que les lois sur l’IVG devaient concilier plusieurs principes : celui de la « liberté de la femme » et, plus étonnamment, celui de la « dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation ». Difficile de comprendre en quoi ce dernier principe entre ici en ligne de compte : si c’est la dignité de la femme, elle est déjà reconnue dans le premier principe ; en revanche, si c’est celle de l’embryon ou du fœtus, tout le problème est justement de savoir s’il s’agit ou non d’un être humain aux yeux du droit. Et, comme d’habitude, on ne sait rien ou presque, en lisant les décisions du Conseil constitutionnel, de la manière dont le législateur doit opérer l’équilibre exigé entre les deux principes.
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